Les algies périnéales d'origine proctologique DR PIERRE COULOM Clinique Saint Jean Languedoc Toulouse La douleur est un des symptômes les plus fréquent en consultation de proctologie. Les algies ano rectaux périnéales chroniques posent un problème diagnostique et thérapeutique. En effet, s'il est facile d'éliminer lors de la première consultation une pathologie fissuraire, hémorroïdaire, infectieuse, suppurative ou inflammatoire, les autres étiologies des algies pelvi périnéales nécessitent un cheminement diagnostique reposant pour beaucoup sur l'examen clinique et neurologique et des examens complémentaires faisant la part de nombreuses spécialités. En effet, ce chapitre des pelvi périnéales intéresse le gynécologue, l''urologue, le proctologue, le rhumatologue et le rééducateur, mais aussi l'électromyographiste, le radiologue, l'algologue et le psychiatre... Les tentatives de réunion des différentes spécialités dans le cadre des groupes de travail en périnéologie à jeûni l'identification des pathologies autrefois mal identifiée et leur traitement.
Lesions objectives ano rectales :
le simple examen proctologique dans lequel l'interrogatoire joue un rôle essentiel permet d'identifier 3 lésions les plus fréquentes :
La fissure anale :
La douleur est déclenchée par l'exonération souvent avec un intervalle libre de quelques minutes.L'examen objective la contracture sphinctérienne et l'ulcération en raquette localisée le plus souvent à la commissure postérieure de l'anus.
La thrombose hémorroïdaire :
Elle est pratiquement la seule manifestation douloureuse des hémorroïdes. La douleur est contemporaine de l'apparition de la tuméfaction anale. La thrombose interne et la thrombose externe n'ont pas la même présentation = tuméfaction bleutée pour l'une, bourrelet oedémateux parfois nécrotique de la circonférence anale pour l'autre. La thrombose interne peut ne pas être prolobée et c'est le TR et l'anuscopie qui font le diagnostic.
Les suppurations ano périnéales :
Elles se manifestent par des douleurs de plus en plus vives, pulsatiles non influencées par le repos ou la défécation. La fièvre inconstante au début s'associe à la tuméfaction rouge, chaude douloureuse déformant la marge anale.Dans ces affections algiques proprement proctologiques le traitement de la douleur correspond à la thérapeutique de la cause.
Les algies anorectales "essentielles" :
Elles sont ressenties au niveau du canal anal ou du rectum de la région péri rectale : leur localisation est prévue avec des irradiations très variables et très atypiques. -Leur survenue est capricieuse sans rapport avec la défection, -il existe un terrain psychique particulier : dépression réactionnelle, émotivité, névrose. On distingue classiquement : - la proctalgie fugace - le syndrome du releveur - la coccygodinie - les névralgies pudendales.
La proctalgie fugace :
Elle est diagnostiquée dès qu'elle est évoquée, son diagnostic repose donc sur l'interrogatoire. L'examen clinique est normal.C'est une algie intermittente touchant 15% de la population générale mais probablement plus puisque 80 % des patients atteints ne consultent pas pour ce motif. Elle surviennent entre 30 et 60 ans plutôt chez des sujets de sexe féminin volontier hypochondriaques, stressés et authentiques. (1)La douleur est plutôt rectale basse paroxystique d'emblée, à type de crampe, anxiogène, sans facteur déclenchant, elle survient surtout la nuit.Elle dure quelques secondes à quelques minutes (moins de 5 minutes dans 90% des cas). Les expédients pour arrêter la crise sont nombreuses : défécation, toucher anal, suppositoires lavements, positions. Les crises douloureuses sont généralement peu fréquentes : moins de 5 crises/an. Les patients sont totalement asymptomatiques entre les crises et leur examen clinique est normal. (2)
Le mécanisme de cette affection est encore méconnu. on a pu évoquer sur le caractère paroxystique une névralgie. (Thayssen) un spasme vasculaire, une ischémie transitoire, un spasme du sigmoïde, une crampe du sphincter externe ou du releveur de l'anus. L'hypothèse la plus actuelle est celle d'une contraction du muscle lisse (contractant le sphincter interne et la musculeuse rectale). (3)
M. Kamm et ses collaborateurs du St Marks hospital à Londres ont d'ailleurs identifié des familles présentant une pathologie héréditaire (mode autosomique dominant avec pénétrance variable) associant hypertonie anale de repas, une constipation terminale des proctalgies fugaces et un épaississement caractéristique du sphincter interne en échographie endoanale. (4) Le traitement repose sur les myorelaxants. une étude en double aveugle et en cross over conduite par Echardt a montré la supériorité du Salbutamol sur le placebo pour écouter la crise (3) Le traitement de la proctologie paroxystique ne reconnaît aucune solution chirurgicale.
Le syndrome du releveur :
Décrit par Fhiele en 1936 sous le terme de coccygodinie alors que la coccygodinie est une douleur très localisée au niveau du coccyx, sans irradiation et majorée en position assise, le syndrome du releveur est une entité reconnue par la classification de Rome II des troubles fonctionnels digestifs.Il affecte dans 75 % des cas la femme d'âge moyen (40-60 ans).La douleur d'abord discrète augmente avec le temps, elle est de siège anal et/ou rectal volontiers localisée à gauche à type de pesanteur profonde, de brûlure intra rectale, de sensation de corps étranger.La douleur n'est pas nocturne.Les irradiations se font vers le pelvis, la faux postérieure des cuisses, les organes génitaux, le pli inter fessier. Elle est exacerbée par la position assise à la position debout.
La façon dont s'assoit la patiente sur le bord du fauteuil de la salle d'attente dansant d'une fesse sur l'autre est caractéristique. Il s'agit d'un véritable syndrome postural puisque la sensation debout ou le décubitus soulagent les patients. L'examen proctologique est normal mais retrouve une contrainte franche et douloureuse à la pression du releveur de l'anus. Whithead a proposé des critères diagnostiques précis du syndrome du releveur. (5) -Douleurs ou brûlures rectales chroniques et récurrentes. + -Episodes douloureux durant plus de 20 minutes. + -Evoluant depuis plus de trois mois non consécutifs dans les douze derniers mois. + -Absence d'étiologie patente (fissure-abcès) + -contracture des releveurs au TR et douleur à l'étirement du muscle.
Les thérapeutiques sont aussi variables que les explications nosologiques.Un point essentiel est de rassurer les patients en éliminants les diagnostics inquiétants et d'attribuer à l'anomalie de fonctionnement musculaire l'élément douloureux chronique.Le biofeed back, les infiltrations transanales (6), la bloc épidural candal (7), la stimulation électrogalvanique ont pour effet de rompre le cycle spastique.
Le syndrome du muscle piriforme (pyramidal)
se manifeste par des douleurs de la fesse en position assise (syndrome du chauffeur de taxi) ou lors d'efforts physiques (montée d'escalier). Les irradiations de ces algies latéralisées se font en fonction de l'irradiation du nerf sciatique ou du nerf cutané postérieur de la cuisse. La douleur est déclenchée par l'appui sur l'insertion trochantérienne du muscle périforme, par la pression de la région médiane du muscle, par le toucher de la paroi postéro latérale rectale et par la mobilisation du nerf inférieur. (9)
La coccygodinie :
Elle se manifeste par des douleurs en position assise et déclenchée par la palpation et la mobilisation du coccyx.Avant les travaux de Maigne (10) la coccygodinie ou coccyalgie était confondue avec un ensemble de syndromes, comme le syndrome du pubo retal, la myalgie pelvienne, la proctalgie chronique, le spasme du releveur.Le traumatisme (chute ou accouchement) reconnu comme étiologie de l'affection témoigne d'une origine mécanique de la douleur.Le coccyx douloureux est exploré par les clichés dynamiques de profil en position indifférente et en position assise et éventuellement par une discographie. trois lésions sont rencontrées : - la luxation postérieure, -l'hypersensibilité en flexion (> 25 à 30°) -les épines, Le traitement de la coccygodinie peut être manuel, médical par la pratique d'infiltrations ou chirurgical par la coccygectomie.
Les algies neurologiques :
La névralgie pudendale est une douleur chronique à type de brûlure et de dysesthésie accentuée en position assise. La topographie correspond aux territoires d'innervation sensitive du nerf pudendal et de ses branches. Décrit par Armareno en 1987, la névralgie pudendale et ses étiologies ont été identifiées (11). Les études anatomiques de l'école Nantaise ont ensuite les zones de conflits possibles (12) : pince constituée par le ligament neuro épineux et par le ligament sacro tubéral; canal d'Alcook, processus falciforme du ligament sacro tubéral (grand ligament sacro sciatique).Les douleurs calmées en position debout n'entraînent pas de réveil nocturne et les étiologies diverses (chute pratique du cyclisme...) ne sont en fait le plus souvent que l'élément gachette du syndrome canalaire.
Quand un seul rameau nerveux est lésé, la douleur peut être distribuée de façon élective au sphincter anal, à la valvule, aux testicules, la douleur déclenchée par le toucher rectal profond, le doigt sur la paroi postérieure du rectum, au niveau de l'épine ischiatique et pathognomonique surtout lorsque la douleur est unilatérale et ne s'accompagne d'aucun trouble urologique, gynécologique ou proctologique.
L'atteinte proximale du nerf pudendal est plus rare et souvent il s'agit d'une atteinte iatrogène (blessure au cours d'une spinofixation) : intervention de Richter.Les lésions distales doivent être différenciées des atteintes radiculo plexiques (zona, tumeurs malignes, radiothérapie) et des atteintes médullaires (tumeurs bénignes ou malignes).Les explorations électrophysiologiques objectivent des signes de dénervation périnéale, une augmentation de la latence distale motrice du nerf pudendal après stimulation endorectale avec l'électrode du St Marks Hospital.
Les infiltrations scanno-guidées sont un véritable test diagnostique soulageant immédiatement la patiente par la xylocaïne et la traitant par l'injection de corticoïdes. Les infiltrations doivent être espacées de 6 semaines et ne doivent pas être répétées au delà de trois fois.La thérapeutique ultime est chirurgicale et consiste en une libération chirurgicale par voie glutéale (13) ou par voie vaginale ou para anale. L'évolution de la connaissance en matières d'algies périnéales a permis d'identifier des syndromes reconnaissant une étiologie précise.Reste pour le praticien a fait part de ce qui ne relève pas de sa spécialité.Il n'en reste pas moins que certaines algies inclassables désignées sous l'appellation de psychogène doivent nous faire poser la question de l'expression de la personnalité de nos patients sur le mode douloureux : "je souffre donc je suis"
Bibliographie
(1) Thompson WG. Proctalgia fugacee . Dig Dis. Sci, 1981; 26 : 1121-4 (2) De Parads . V. Etienney I, Atienza P. Proctalgie fugace courrier colo Procto n°3 vol IV 2003 61-62
(3) Eckardt VF, dodt O, Kanzler. G, Anorectal function and morphology impartient with sporadic proctologia fugace Dis colon rectum 1996, 39:755-62 (4) Kamm M.A, hoyle CHV, burleigh DE etal. Heredity international anal sphincter myopathy causing proctologia fugase and constipation. A newly identified condition. Gastroenterology 199; 100 : 805-10 (5) Whithead WE, Wald a, Diarnant NE et AL. functionnal disorders of the anus and rectum. Gut 1999; 45 (sup 2) : 1155-9 (6) Kang YS Jeong SY, cho HS etal, transally injected triamcinolone in the levator syndrome. Dis colon rectum 2000; 43-1288-9
(7) Yoon KS, choi SK, Arnaranath A et al. Candal epidural block with methypredmiston cuetate in the managment of chronic idiopathic rectal pain. Colo proctology1994; 16 : 161-6
(8) Sohn N, Weinstein MA, Robbins RD. the elevator syndrome and its breatment with high voltage electro galvanic stimulation. Am J. Sur 1982; 144 : 80-2
(9) Bauer P. syndrome du muscle punctiforme à l'usage des proctologues. Act med Int. 2001; 15 : 191-3
(10) Maigne 14, guedy S, fautrel B. Coccygodinie : intérêt des clichés dynamiques Rev Rhum Mal osteoartic 1992; 59 : 728-31
(11) Ammarenno G, Kerdraon J, Bouju P et al.1987 treatments of perineal nevralgia caused by involerment of pudendal neuve Rev. Neuro 153 : 331-5
(12) Robert R, Prat-Pradal D, Labat ss et al (1998). Anatomic basis of chronic perinal pain : role of the pudendal neuve. Surg radial Anat 20:93-8
(13) Robert R, Brunet C, Faure A et al (1994) la chirurgie du nerf pudendal lors de certaines algies périnéales : évolution et résultats. Chirurgie : 119 : 535-9
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