Qu’est-ce qui arrive au génome d’un individu au cours de la vie ? Si l’ADN reste le même à quelques petites mutations près dans toutes les cellules, ce sont surtout les facteurs contrôlant l’expression des gènes (épigénétiques) qui avec le temps perdent en efficacité et conduisent au vieillissement. L’épigénome des bébés est plus complet que celui des centenaires !
La génétique n’explique pas tout. L’ADN a beau être un alphabet universel présent dans toutes les cellules, il ne constitue qu’un récit soumis à l’interprétation du lecteur. Chaque organe, chaque tissu se doit de le lire selon ses propres règles grammaticales, de manière à se différencier correctement et assumer la fonction qui lui incombe. Quels mécanismes les cellules ont-elles mis en place ?
Le vivant a trouvé la solution par l’épigénétique. Certaines régions de l’ADN sont réprimées par des molécules, le plus souvent des groupements méthyles (CH3), de manière à diminuer voire éteindre l’expression d’un gène. Ainsi, l’expression en genre et en nombre des protéines devient propre à chaque tissu.
Au cours de la vie, le génome reste globalement identique, même si des mutations induisent malgré tout des petites différences. Mais qu’en est-il de la stabilité de l’épigénome dans son entier ? Des chercheurs de l’Universitat de Barcelona apportent la réponse à cette question : les méthylations de l’ADN régulant l’expression des gènes diminuent progressivement dans le temps. L’expérience est accessible librement dans les Pnas.
Les bébés ont un épigénome plus complet que les centenaires
Pour avoir un aperçu net de l’évolution d’un processus au cours de la vie, quoi de mieux que d’étudier les différences aux deux extrémités de la vie ? Les chercheurs ont récupéré des globules blancs dans le cordon ombilical chez des nouveau-nés et dans le sang de patient âgés de 90 ans ou plus (la palme revient à un sujet de 103 ans). Les épigénomes entiers (plus de 16 millions de sites de méthylation) ont été analysés et comparés.
Cette figure, tirée de l'étude, représente visuellement les différences de méthylation au niveau des épigénomes de nouveau-nés (NB, cercle bleu intérieur), le patient de 26 ans (Y26, cercle bleu intermédiaire) et le centenaire (Y103, cercle bleu extérieur). L'intensité du bleu représente la densité de méthylation. On constate nettement que le génome des bébés est bien plus régulé que chez le sujet de 103 ans. © Heyn et al., Pnas
Chez les bébés, 80,5 % de ces sites étaient méthylés, contre seulement 73 % chez les nonagénaires et le centenaire. Certains des gènes exprimés par les cellules du système immunitaire de ces derniers n’étaient pas spécifiques aux globules blancs mais à d’autres tissus. Les facteurs épigénétiques s’altèrent donc avec le temps. Mais ce processus apparaît-il brutalement ou s’étale-t-il sur l’ensemble de l’existence ?
La réponse sera fournie par l’analyse de ces mêmes données chez un patient de 26 ans, chez qui 77 % des sites étaient encore méthylés. Certes, l’effectif est un peu léger pour en tirer des conclusions définitives, mais l’altération de l’épigénome semble se produire graduellement au fil des années.
Contrôler l’épigénome pour ralentir le vieillissement ?
Les auteurs émettent l’hypothèse suivante. L’âge avançant, il peut arriver que les protéines qui placent les groupements méthyles perdent en efficacité et délaissent certains sites. Après division cellulaire, ces enzymes restent partiellement défaillantes et oublient de méthyler d’autres régions de l’ADN. Peu à peu, avec le renouvellement cellulaire, un tissu n’assumera pas pleinement sa fonction : il vieillit.
Sur le long terme, ces altérations de l’épigénome peuvent entraîner des maladies. Dans le cas de globules blancs défaillants, le sujet sera davantage soumis à des infections. Dans d’autres situations, la mauvaise régulation de certains gènes est capable d’induire un cancer. Ce travail insiste donc sur le rôle central joué par les facteurs épigénétiques.
Précisons un détail à connaître. Si l’ADN est figé dès la fécondation, les lésions de l’épigénome sont quant à elles réversibles. Changer de régime alimentaire, arrêter de fumer, faire davantage d’exercice contribue à rattraper les dégâts occasionnés. Cependant, ils ne suffisent pas à eux seuls pour stopper complètement le mécanisme…
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