La créatine kinase (CK),
anciennement appelée phosphocréatine kinase ou créatine phosphokinase (CPK) est une enzyme (EC 2.7.3.2) exprimée par divers types de tissus.
Dans la mitochondrie, où la concentration d'ATP est toujours très importante, elle a pour fonction de catalyser la conversion de la créatine en phosphocréatine, impliquant la conversion de l'adénosine triphosphate (ATP) en adénosine diphosphate (ADP). Bien que l'équilibre de la réaction soit largement en faveur de la réaction inverse, cette réaction a lieu car la molécule d'ADP formée (par consommation d'une molécule d'ATP) pour créer une molécule de phosphocréatine est immédiatement transformée en ATP par la mitochondrie, ce qui déplace l'équilibre de la réaction.
Dans une myofibrille, au début de l'effort musculaire, la concentration d'ADP augmente très rapidement et la concentration d'ATP diminue parallèlement. Ceci déplace l'équilibre de la réaction et, par conséquent, la créatine kinase catalyse la réaction inverse, c’est-à-dire le transfert du radical phosphoryl de la phosphocréatine vers l'ADP pour la convertir en ATP. Ceci permet de régénérer rapidement de l'ATP.
La phosphocréatine, par l'intermédiaire de l'ATP, constitue ainsi un réservoir d'énergie rapidement utilisable pour les muscles et d'autres organes comme le cerveau (métabolisme anaérobie alactique). Cependant, la réserve de phosphocréatine ne permet de maintenir un effort que sur une très courte durée. Cette voie de production d'énergie laisse très vite place (au bout d'une dizaine de secondes) à d'autres voies de production d'énergie : la dégradation du glucose en acide lactique (métabolisme anaérobie lactique) puis à la respiration cellulaire (métabolisme aérobie) qui prend le relais au bout d'environ deux minutes jusqu'à la fin de l'exercice musculaire.
Types
Il existe plusieurs isoenzymes (variantes) de la CK. Principalement trois fractions sont connues :
- CK-MM qui se trouve en majorité dans le tissu musculaire ;
- CK-MB qui se trouve en majorité dans les cellules myocardiques ;
- CK-BB qui se trouve en majorité dans le cerveau.
Usages
La CK est libérée dans le sang lors de lésions tissulaires avec lyse cellulaire. Le dosage des isoenzymes circulant dans le sang permet de distinguer l'origine de la destruction cellulaire.
La CK-MB (ou CPK-MB) est libérée en cas d'infarctus du myocarde mais son usage diagnostique tend à être supplanté par la mesure de la troponine sanguine qui s'élève de manière plus précoce, avec une sensibilité meilleure. Le taux de CPK-MB s'élève à partir de la troisième ou quatrième heure après le début de l'infarctus et se normalise en deux à trois jours.
Valeur normale
- Valeur normale de la concentration en CPK plasmatique : 15 - 130 UI/L.
Il existe de nombreuses fausses augmentations notamment liées à une myolyse :
- effort musculaire (ainsi un marathonien peut augmenter le taux de CPK à plus de 40 fois la normale en fin de course) ;
fièvre.
Troponine
La troponine est un complexe de protéines qui sensibilise les cellules musculaires au calcium.
On trouve de la troponine aussi bien dans les muscles cardiaques que dans les muscles squelettiques, mais les versions spécifiques de la troponine diffèrent entre les types de muscle, du fait d'une expression différente des gènes respectifs (ceux du cœur par exemple).
Biochimie : Sous-unités de la troponine
La troponine est une protéine hétérotrimérique. On distingue en effet trois sous-unités distinctes.
- Troponine C (TnC) : sous-unités responsable de la liaison avec le calcium. Une fois le calcium lié le complexe troponine-calcium se déplace et cesse d'empêcher la liaison entre la myosine et l'actine.
La TnC présente une forte similitude entre la forme cardiaque et la forme squelettique, rendant impossible l'obtention d'anticorps monoclonaux et excluant tout intérêt clinique.
- Troponine I (TnI) : sous-unités responsable de l'inhibition de la liaison entre la myosine et l'actine (en masquant le site de l'actine qui sert à la liaison avec la myosine). Elle a donc une fonction inhibitrice qui a pour effet d'amorcer la décontraction musculaire.
La TnI présente 3 isoformes, spécifiques respectivement du muscle squelettique à contraction rapide (muscle composé essentiellement de fibres musculaires type 2 (blanches)), du muscle squelettique à contraction lente (muscle composé essentiellement de fibres musculaires type 1 (fibres rouges)) et du cœur (TnIc).
- Troponine T (TnT) : sous-unités responsable de la liaison avec la tropomyosine.
La TnT existe sous 5 à 12 isoformes squelettiques (TnTs) et 4 isoformes cardiaques (TnTc).
La troponine T cardiaque (TnTc) et la troponine I cardiaque (TnIc) sont mesurées par méthode immunoenzymatique spécifique (elles seules ont un intérêt concret dans le diagnostic et le suivi de l'infarctus du myocarde).
Usage dans le diagnostic
L'utilisation de son dosage en médecine a fait l'objet de la publication de recommandations par l’European Society of Cardiology en 2010[1] et par l’American College of Cardiology datant de 2012[2].
Le dosage de la troponine (troponinémie) se fait par un prélèvement sanguin veineux. Elle n'est significative que par son élévation (le taux normal étant proche de zéro).
Son intérêt est démontré lors de douleurs thoraciques, et permet de confirmer le diagnostic par leur élévation :
- un angor instable ;
- un infarctus du myocarde.
- une myocardite.
Son utilisation a remplacé le dosage d'autres marqueurs comme la créatine kinase (CK, appelé communément CPK) et sa fraction mb, la myoglobine, moins spécifiques dans ces maladies.
L'augmentation de la troponine est cependant retardée par rapport à la douleur : même dans le cas d'un infarctus, le dosage sanguin peut être normal avant la quatrième heure après la douleur. Ce dernier diagnostic ne peut donc être éliminé que par deux dosages successifs négatifs espacés de quatre heures[3]. Le traitement de référence dans l'infarctus est la désobstruction de l'artère coronaire, faite le plus rapidement possible et idéalement avant la sixième heure du début des signes. Le diagnostic de cette maladie à la phase aiguë reste donc clinique (description de la douleur) et électrocardiographique et on ne doit dans aucun cas attendre le résultat des dosages biologiques pour commencer le traitement.
La troponinémie peut être normale en cas d'angine de poitrine qui reste un diagnostic basé essentiellement sur la description de la douleur. Dans ce cas, son dosage peut apporter une confirmation du diagnostic mais aussi une évaluation du pronostic : les angors à troponine élevée ont plus de risque de faire à court et moyen terme un accident cardiaque pouvant être grave et nécessitent par conséquent une hospitalisation urgente.
Les troponines cardiaques peuvent être élevées (parfois de façon importante) dans tous les cas où il existe une souffrance myocardique quelle que soit sa cause :
- myocardite ;
- contusion cardiaque ;
- spasme coronarien.
De façon beaucoup plus inconstante, elles s'élèvent (de manière modérée) en cas de :
- cardiomyopathie dilatée ;
- insuffisance cardiaque ;
- cardiomyopathie hypertrophique ;
- amyloïdose cardiaque ;
- tachycardie supraventriculaire.
Elle s'élève parfois lors de certains traitements à visée cardiaque, et ce, de façon habituelle et non inquiétante :
- chirurgie cardiaque et transplantation cardiaque ;
- défibrillation ;
- angioplastie coronarienne ;
- traitement d'un trouble du rythme cardiaque par radiofréquence.
Elles peuvent être élevées dans certaines maladies cardiaques, mais le plus souvent par une atteinte du muscle cardiaque secondaire :
- maladie grave, par exemple septicémie ;
- certaines chimiothérapies à hautes doses ;
- hypertension pulmonaire primaire ;
- embolie pulmonaire ;
- insuffisance rénale ;
- hémorragie sub-arachnoïdienne ;
- venin de scorpion ;
- collapsus cardio-vasculaire ;
- exercice physique très intense (marathon).
Le dosage de la troponine peut avoir également un intérêt pour évaluer le pronostic lors d'une poussée d'insuffisance cardiaque, une augmentation du taux de celle-ci étant plutôt péjorative[4].
La troponine T est élevée dans le cadre d'un infarctus du myocarde[5], mais des niveaux bas, détectés uniquement par certains tests dits « hautement sensibles » auraient un intérêt d'indicateur pronostique en cas d'insuffisance cardiaque[6] et même chez le sujet âgé sans antécédent particulier[7] ou dans la population générale[8].
Troponine hypersensible
Histoire de la troponine hypersensible
En 2007, un consensus international donne une nouvelle définition de l'infarctus du myocarde, associant des signes cliniques, électriques et biologiques[9]. Elle précise que toute élévation de la troponinémie, lorsqu'elle dépasse le 99e percentile de la distribution de valeurs de troponinémie dans une population de témoins sains, doit faire évoquer un infarctus du myocarde, sous réserve que la cinétique de la variation soit compatible avec le diagnostic. Cette définition est assortie d'un critère analytique, précisant que l'imprécision (ou coefficient de variation) de la mesure de la troponinémie au 99e percentile ne doit pas dépasser 10 %. Or, cette même année, aucun dosage disponible en routine ne peut atteindre un tel degré de précision pour ce seuil.
Depuis 2008, avec la troponine dite « hypersensible » (ou « ultrasensible »), la sensibilité des dosages peut atteindre l'ordre du nanogramme par litre[10] et le coefficient de variation est inférieur à 10 %, pour le seuil considéré comme anormal[11].
Le taux « normal », suivant la définition du 99e percentile est de 14 ng·L-1[12]. Ce seuil est cependant discuté et devrait être plus haut chez l'homme et la personne âgée[13].
Facteur de risque cardio-vasculaire
Chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque chronique[14] ou d'insuffisance coronarienne[15], une concentration élevée de TnTc hypersensible est fortement correlée à une augmentation du risque de mortalité cardiovasculaire.
Un dosage légèrement élevé semble être un marqueur de risque de survenue d'événements cardio-vasculaires[16] mais son utilité, en pratique quotidienne, reste à être déterminée.
Anecdote
Un taux élevé de troponine a été retrouvé dans une momie égyptienne dont la mort remonte aux environs de 1085 avant notre ère (momie d'Horemkenesi), la protéine ayant été bien conservée dans le natron servant à la mommification. Cette augmentation serait révélatrice d'un infarctus du myocarde, cause probable de son décès[17].
Valeur normale
Valeur normale de la concentration en troponine I cardiaque plasmatique : 0 - 0,1 µg/L selon le cas clinique du patient.
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Notes et références
- (en) hygesen K, Mair J, Katus H et al. « Recommendations for the use of cardiac troponin measurement in acute cardiac care » [archive] Eur Heart J. 2010;31:2197-204.
- (en) Newby LK, Jesse RL, Babb JD et al. « ACCF 2012 Expert consensus document on practical clinical considerations in the interpretation of troponin elevations: A report of the American College of Cardiology Foundation task force on clinical expert consensus documents » [archive] J Am Coll Cardiol. 2012;60:2427-63.
- (en) Hamm CW, Bassand JP, Agewall S et al. ESC Committee for Practice Guidelines. « ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes in patients presenting without persistent ST-segment elevation: The Task Force for the management of acute coronary syndromes (ACS) in patients presenting without persistent ST-segment elevation of the European Society of Cardiology (ESC) » [archive] Eur Heart J. 2011;32:2999-3054.
- (en) Peacock WF, De Marco T, Fonarow GC et al. « Cardiac troponin and outcome in acute heart failure » [archive] N Eng J Med. 2008;358:2117-26.
- (en) Giannitsis E, Kurz K, Hallermayer K et al. « Analytical validation of a high-sensitivity cardiac troponin T assay » [archive] Clin Chem. 2010;56:254–61.
- (en) Latini R, Masson S, Anand IS et al. « Prognostic value of very low plasma concentrations of troponin T in patients with stable chronic heart failure » [archive] Circulation 2007;116:1242–9.
- (en) deFilippi CR, de Lemos JA, Christenson RH et al. « Association of serial measures of cardiac troponin T using a sensitive assay with incident heart failure and cardiovascular mortality in older adults » [archive] JAMA 2010;304:2494-502.
- (en) de Lemos JA, Drazner MH, Omland T et al. « Association of troponin T detected with a highly sensitive assay and cardiac structure and mortality risk in the general population » [archive] JAMA 2010;304:2503-12.
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- (en) Thygesen K, Mair J, Giannitsis E et al. « How to use high-sensitivity cardiac troponins in acute cardiac care » [archive] Eur Heart J. 2012;33:2252-7.
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- Gore MO, Seliger SL, deFilippi CR. et al. « Age- and sex-dependent upper reference limits for the high-sensitivity cardiac troponin T assay » [archive] J Am Coll Cardiol. 2014;63:1441–1448.
- (en) R Latini, S Masson, IS Anand et al., « Prognostic value of very low plasma concentrations of troponin T in patients with stable chronic heart failure », Circulation, vol. 116, no 11, , p. 1242-1249 (ISSN 0009-7322 et 1524-4539, lire en ligne [archive]).
- (en) T Omland et al., « A sensitive cardiac troponin T assay in stable coronary artery disease », New England Journal of Medicine, vol. 361, no 26, , p. 2538-2547 (ISSN 0028-4793, lire en ligne [archive]).
- (en) JT Saunders, V Nambi, JA Lemos et al., « Cardiac troponin T measured by a highly sensitive assay predicts coronary heart disease, heart failure, and mortality in the Atherosclerosis Risk in Communities Study », Circulation, vol. 123, , p. 1367-1376 (lire en ligne [archive]).
- Ziskind B « La mort subite d'un prêtre funéraire égyptien » Dossier Pour la Science, janvier-mars 2006, p. 30-34.
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