« Comme toute victime de maladie, notre rêve demeure celui de guérir. Toutefois, le souhait le plus cher des victimes de troubles mentaux est celui de se départir du mépris et de l’indifférence, qui pèsent plus lourd que la maladie elle-même. » Voilà le cri du cœur de Monsieur Z., qui porte quotidiennement un double stigma : celui d’être atteint d’une dépression bipolaire et celui d’être traité par électrochocs, communément appelée électroconvulsivothérapie (ECT).
L’électroconvulsivothérapie prise au piège de son histoire
Avant l’émergence des psychotropes (antidépresseurs, etc.), la médecine se trouvait bien démunie pour soigner les « aliénés » s’entassant dans les asiles. Parmi les tentatives, on expérimenta des thérapies pharmacologiques inusitées (coma insulinique, métrazol, etc.) visant à produire un coma ou une convulsion afin d’amener les sujets aux portes de la mort pour les soigner. Malheureusement, ces méthodes se sont avérées trop nocives.Un jour où il visitait un abattoir, un neuropsychiatre italien, Ugo Cerletti (1877-1963), constata que les porcs électrisés convulsaient et tombaient inconscients. Ceux qui n’étaient pas tués par le boucher reprenaient conscience après quelques minutes. Il inventa alors la thérapie par électrochocs, destinée à produire une convulsion dans le cerveau par le passage d’un courant électrique. D’après l’une des hypothèses actuelles, l’action thérapeutique de cette méthode résulterait non pas de la convulsion elle-même, mais de la réponse anticonvulsive du cerveau, qui, pour combattre la crise, libèrerait des neurotransmetteurs induisant une plasticité neuronale dans le cortex préfrontal.
«L’extrême violence des crises convulsives musculaires induites par les électrochocs, réalisés à l’époque sans anesthésie et sans relaxant musculaire, laissait des traumatismes physiques irréversibles»
Dès 1938, cette technique fut appliquée à tout-va, et ce, pour bon nombre de pathologies sans grande restriction. Bien plus qu’un souvenir pénible, l’extrême violence des crises convulsives musculaires induites par les électrochocs, réalisés à l’époque sans anesthésie et sans relaxant musculaire, laissait des traumatismes physiques irréversibles : fractures, luxations, tassements de vertèbres et arrachements ligamentaires ou tendineux. Que l’évocation des électrochocs, symbole d’une technique inhumaine et barbare, frappe encore l’imaginaire, n’est pas étonnant! Surtout que plusieurs films (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Alys Robi : Ma vie en cinémascope, etc.) ont témoigné de cette réalité d’antan.Comment se fait-il alors qu’une telle thérapie soit encore utilisée? « Parce que, aujourd’hui, l’électroconvulsivothérapie (ECT) est très différente, et c’est ce que je voulais montrer dans ma vidéo », explique Monsieur Z. De fait, puisqu’une image vaut mille mots, Monsieur Z. a demandé que soit filmée l’une de ses séances d’ECT.
Donnons au moins le choix
Une fois par mois, Monsieur Z. se présente à l’hôpital, au petit matin, pour faire traiter sa dépression bipolaire par l’ECT. Installé au bloc opératoire, le psychiatre qui lui administrera l’ECT vient le voir avant que les infirmières ne placent des capteurs sur son corps. Ses signes vitaux seront enregistrés pendant l’intervention : son cerveau, son cœur et sa tension artérielle. Très vite, il s’endort sous l’effet de l’anesthésie générale. Un relaxant détend ses muscles et la stimulation électrique est lancée par deux électrodes positionnées sur son crâne. La convulsion ne dure que quelques secondes et seuls de faibles spasmes musculaires sont visibles. Monsieur Z. se réveille 5 minutes plus tard, encore un peu dans les nuages de l’anesthésie. La séance est terminée. Dans une heure, il sera assez alerte pour aller suivre ses cours à l’université. « Parfois, avant mes séances, je me sens comme un vieux char sans gaz avec un moteur qui tousse. J’ai hâte d’aller au garage pour un entretien “ électrique ”. Sorti du garage, je suis à nouveau un char neuf », confie-t-il.«La pratique de l’ECT a beaucoup évolué, favorisant davantage le confort et la sécurité des usagers, mais son efficacité aussi a changé.»
La pratique de l’ECT a beaucoup évolué, favorisant davantage le confort et la sécurité des usagers, mais son efficacité aussi a changé. « En 1950, l’ECT modifiée apparaît : anesthésie générale de courte durée (en moyenne 15 minutes), administration d’un relaxant musculaire, oxygénation et surveillance constante des signes vitaux. Tout est différent! L’ECT est de nos jours extrêmement sécuritaire, non invasive et indolore », explique Simon Patry, psychiatre à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ) et directeur du Centre d’excellence en ECT du Québec. Les paramètres de stimulation électrique eux-mêmes ont été optimisés dans les années 2000, ce qui diminua considérablement les effets secondaires :- i) L’intensité du courant employée étant plus faible, la convulsion est courte et contrôlée (20-25 secondes);
- ii) l’onde électrique sinusoïdale a été remplacée par une onde carrée, souvent ultrabrève;
- iii) les techniques unilatérale (stimulation au niveau d’une seule tempe) et frontale (stimulation au niveau du front) ont été ajoutées à la méthode bitemporale (stimulation au niveau des tempes droite et gauche).
Ainsi décrite, l’ECT semble un traitement banal. Pourtant, elle reste une thérapie de dernier recours administrée selon des indications bien précises. « Aujourd’hui, elle est proposée uniquement aux patients souffrant de dépression majeure, de certaines formes de maladie bipolaire ou de schizophrénie lorsque les traitements habituels, comme la médication et la psychothérapie, ont échoué ou sont contre-indiqués, ou encore, lorsque la vie des patients est fortement menacée à court terme », précise le Dr Patry. Comme toutes les médications psychiatriques existantes, l’ECT ne fonctionne que chez certaines personnes. « Les antidépresseurs aident 60 à 70 % des patients tandis que l’ECT soulage 60 % des personnes qui n’ont pas eu de résultats avec les médicaments. Elle semble donc constituer le traitement antidépresseur le plus efficace.
«Son seul regret est de ne pas avoir essayé ce traitement quand il avait 20 ans.»
Parallèlement, on note un taux d’efficacité de 80-90 % dans d’autres pathologies telles que la catatonie. Elle pourra également avoir certaines conséquences négatives bénignes : confusion et maux de tête le jour du traitement, voire perte de mémoire. « À noter qu’une dépression non soignée provoque aussi des troubles de la mémoire », ajoute le Dr Patry. Généralement, les souvenirs reviennent quelques jours ou plusieurs mois après le traitement; rarement, l’oubli perdure. « Je suis l’un de ceux ayant subi les plus grosses pertes de mémoire. C’est une partie de mon disque dur qui est effacée à jamais », avoue Monsieur Z. Alors, pourquoi avoir opté pour cette thérapie? La réponse est une évidence pour lui : le choix entre vivre ou mourir : « Mes épisodes dépressifs surviennent sans préavis en 24-48 h. Après, c’est l’enfer. J’ai un ralentissement psychomoteur très important et une fatigue extrême, comme si je devais tirer un train sans locomotive. Les traitements réguliers d’ECT demeurent le moyen le plus efficace pour me permettre de vaquer sans problèmes à mes activités quotidiennes sans craindre la survenue d’un nouvel épisode dépressif bipolaire. » Son seul regret est de ne pas avoir essayé ce traitement quand il avait 20 ans.La prise de décision appartient à chacun et se fait en comparant les risques (effets secondaires possibles) et les bénéfices du traitement sur sa vie. Encore faut-il pouvoir faire librement son choix sans que le regard des autres pèse plus lourdement que les effets assumés de la thérapie!
En parler et faire voir
Avant qu'il n'ait recours à l’ECT, l’histoire de Monsieur Z. était faite d’une succession d’épisodes dépressifs, de rémissions, d’études, puis de congés forcés; d’espoir, puis de découragement. Si beaucoup de gens le qualifient encore, je cite, d’« instable, de fucké ou de crisse de fou », il est quant à moi un homme qui a su déplacer des montagnes grâce à une motivation et un courage peu égalés.L’écrivain Henry David Thoreau constatait que « nous n’avons rien à craindre sauf la peur elle-même ». Dans le contexte de la santé mentale, cette phrase prend tout son sens. La peur associée au manque de connaissances engendre des jugements erronés qui provoquent rejet et discrimination. « On tourne le dos aux fous, on évite leur regard par peur d’être entraînés dans leur folie. Cette indifférence et ce jugement nous culpabilisent et nous isolent », témoigne Monsieur Z. La stigmatisation se répercute sur chaque sphère de sa vie : rapport à soi, relations familiales, travail et accès aux soins. Doublement étiqueté par son trouble mental et son traitement d’ECT, deux fois coupable, Monsieur Z. en a largement payé les frais.
Pour changer les mentalités, Monsieur Z. raconte son histoire, ses traitements et ses défis par écrit, par l’image ou par la parole (conférences). Mais les préjugés ont la vie dure et il faut s’en protéger. Les répercussions des préjugés sociaux l’ont contraint à retirer son blogue sur l’ECT et à rendre sa vidéo anonyme.
Ironiquement, bien que tout le monde s’accorde pour dire qu’informer
est le seul moyen de lutter contre la stigmatisation en santé mentale,
ceux qui ont le plus de choses à nous apprendre, les patients eux-mêmes,
ne sont pas entendus. À la lumière de ces faits, je m’interroge
sur les actions possibles. Peut-être suivre l’exemple de Monsieur Z. et
avoir le courage de persister! Favoriser l’accès à l’information, sans
diaboliser ni banaliser l’ECT, pour donner au moins le choix!